L'esprit encyclopédique

     
 

L'ESPRIT ENCYCLOPEDIQUE

 
   
 
Les dix-sept volumes de l'Encyclopédie ne laissent pas immédiatement deviner pourquoi cette œuvre a soulevé tant de passions. C'est que cet ouvrage, qui se présente comme un dictionnaire, loin d'être une simple compilation des connaissances, répond à la volonté d'en dresser un inventaire raisonné. Ecartant donc toute Révélation, le philosophe et le savant se donnent pour tâche de poser et de résoudre méthodiquement les problèmes, de faire la somme des connaissances et des techniques, de trouver enfin un point central d'où l'on puisse avoir une vue synthétique: et ce point central, c'est l'homme et non plus Dieu.
   
 


Une considération, surtout, qu'il ne faut point perdre de vue, c'est que si l'on bannit l'homme ou l'être pensant et contemplateur de dessus la surface de la terre, ce spectacle pathétique et sublime de la nature n'est plus qu'une scène triste et muette. L'univers se tait; le silence et la nuit s'en emparent. Tout se change en une vaste solitude où les phénomènes inobservés se passent d'une manière obscure et sourde. C'est la présence de l'homme qui rend l'existence des êtres intéressante; et que peut-on se proposer de mieux dans l'histoire des êtres, que de se soumettre à cette considération?

Diderot. Article Encyclopédie.

     
 
La finalité de l'encyclopédie est claire: chaque science y devient, dans son ordre et dans son objet, une science de l'homme.
 

Le prospectus
(1750) signé de Diderot précise l'originalité de la méthode encyclopédique:
 


"Si l'on nous objecte que l'ordre alphabétique détruira la liaison de notre système de la connaissance humaine, nous répondrons que cette liaison consistant moins dans l'arrangement des matières que dans les rapports qu'elles ont entre elles, rien ne peut l'anéantir, et que nous aurons soin de la rendre sensible par la disposition des matières dans chaque article et par l'exactitude et la fréquence des renvois".
 
En proposant deux sortes d'utilisation (la simple lecture d'un article ponctuel qui apporte des connaissances précises, ou au contraire le passage, par le système des renvois, à différentes rubriques qui permettent une recherche approfondie, les Encyclopédistes soulignent la nouveauté d'un ouvrage qui ne prend la forme d'un dictionnaire que pour la commodité. Le classement alphabétique offre en effet un instrument idéal : non compromettant puisqu'il est arbitraire, mais permettant un bilan précis et surtout la dispersion de l'information dans différentes "entrées", anodines en apparence (n'alertant donc pas la censure). Le lecteur, renvoyé aux articles touchant à la même matière, a la possibilité d'opérer des rapprochements et de faire un choix personnel entre les divers points de vue exprimés.
 
Dans son discours préliminaire, D'Alembert se proposait deux objectifs : faire un "dictionnaire raisonné", c'est-à-dire un inventaire critique, "des sciences, des arts et des métiers", qui soit en même temps une histoire des connaissances humaines, des liens existant entre elles, et de leurs progrès.
 


L'ouvrage que nous commençons (et que nous désirons de finir) a deux objets: comme encyclopédie, il doit exposer, autant que possible, l'ordre et l'enchaînement des connaissances humaines; comme dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, il doit contenir, sur chaque science et sur chaque art, soit libéral, soit mécanique, des principes généraux qui en sont la base, et les détails les plus essentiels qui en font le corps et la substance.

D'Alembert, Discours préliminaire.

 
Les conditions et la longueur de la publication ont empêché l'ouvrage d'être systématique. Il reste cependant qu'un idéal commun anima les auteurs, mais que de divergences entre les articles, parfois sur le même sujet! Voltaire parla de "fatras", et Diderot reconnaissait l'imperfection de l'ensemble. Mais c'est cette diversité qui donne à l'Encyclopédie son originalité: œuvre collective, elle est ouverte à tous les courants de la pensée philosophique, sans imposer l'athéisme plutôt que la religion naturelle, ni la doctrine rousseauiste du Contrat social plutôt que le despotisme éclairé. Le système des renvois d'un article à l'autre ne faisait du reste que souligner la confrontation des opinions et permettait également de faire découvrir les multiples applications de principes généraux.
     
 
L'influence politique de l'Encyclopédie ne doit cependant pas être surestimée. Les révolutionnaires, dans l'ensemble, ne se sont pas reconnus dans les Encyclopédistes, frange dynamique et éclairée d'une classe sociale possédante qui certes cherchaient un nouvel ordre du monde, mais ne prévoyaient pas son bouleversement.
     
 

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